ZFE et logistique urbaine

Les ZFE-m, origine et évolutions réglementaires

En 2015, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (TECV) donnait la possibilité aux collectivités qui le souhaitaient de mettre en place des zones à circulation restreinte (ZCR) pour les véhicules les plus polluants, ceci afin de protéger la santé des populations dans les zones soumises régulièrement à la pollution atmosphérique. Avec la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, le dispositif ZCR s’efface au profit des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), rendues obligatoires lorsque les normes de qualité de l'air ne sont pas respectées de manière régulière. Enfin, la loi climat et résilience (CLIR) de 2021 étend la mise en place des ZFE-m aux agglomérations de plus de 150 000 habitants.

Le gouvernement, lors du comité ministériel sur la qualité de l’air en ville du 10 juillet 2023, a précisé les obligations en matière de mise en place de ZFE-m, distinguant « territoires ZFE » et « territoires de vigilance » :

  • Les territoires ZFE sont les agglomérations qui dépassent de manière régulière les normes limites en matière de qualité de l’air. Ces agglomérations doivent respecter le calendrier législatif aboutissant à des restrictions d’accès aux ZFE pour les véhicules Crit’Air 4 au 1er janvier 2024, puis pour les véhicules Crit’Air 3 au 1er janvier 2025. Cinq agglomérations sont aujourd’hui concernées : Paris, Lyon, Aix-Marseille, Rouen, Strasbourg. Chacune de ces agglomérations a d’ores et déjà créé sa ZFE-m ;

  • Les territoires de vigilance sont les agglomérations de plus de 150 000 habitants respectant les normes de qualité de l’air. Ces territoires sont de deux types :

  • Les agglomérations sur lesquelles une ZFE-m a déjà été créée et où la qualité de l’air s’est améliorée (Grenoble, Montpellier, Nice, Reims, Saint-Etienne, Toulouse). Ces agglomérations respectent désormais les normes de qualité de l’air et ont mis en place les restrictions minimales prévues par la loi. Elles n’ont plus aucune obligation de renforcer les restrictions déjà appliquées dans le cadre de leur démarche ZFE-m ;

  • Les agglomérations de plus de 150 000 habitants respectant les normes de qualité de l’air et n’ayant pas encore de ZFE-m (31 agglomérations concernées). Pour ces agglomérations, la seule obligation prévue par la loi est la restriction de circulation avant le 1er janvier 2025 des véhicules immatriculés jusqu’au 31 décembre 1996 (véhicules non classés).  

Les acteurs de la logistique urbaine impactés à des degrés divers par la mise en application des ZFE-m

La logistique urbaine couvre des activités extrêmement variées qui ont leurs propres contraintes commerciales et organisationnelles. L’ensemble de ces acteurs économiques, avec leurs possibilités et leurs besoins spécifiques, doivent être pris en considération lors de la mise en œuvre d’une ZFE-m sur un territoire : petits commerces, grande distribution, grossistes, transporteurs, logisticiens, fournisseurs, producteurs, activités de recyclage ou de réemploi, ainsi que tous les autres professionnels impliqués dans la logistique du « dernier kilomètre » sont touchés à des degrés divers par la mise en place d’une ZFE-m.

Des entretiens réalisés en 2021 et 2022 par le Cerema auprès de collectivités et de professionnels du transport de marchandises montrent que l’hypothèse selon laquelle la ZFE-m est sujette à une faible acceptation de la part des entreprises du fait de la difficulté de ces dernières à renouveler leur parc roulant est à nuancer. En effet, selon la taille des structures et la typologie de leurs activités, les conséquences de la mise en place d’une ZFE-m sur l’activité de ces professionnels diffèrent.

Les transporteurs de grande « taille » renouvellent régulièrement leur flotte (tous les trois à quatre ans pour les véhicules utilitaires légers, tous les quatre à six ans pour les poids lourds). Ils disposent donc de véhicules récents et autorisés, actuellement et pour plusieurs années encore, sur les ZFE-m mises en place.

Les ZFE-m impactent en revanche davantage les activités des petites entreprises et des artisans en zone urbaine. Leurs véhicules, essentiellement des véhicules utilitaires légers, ont des durées d’exploitation supérieures à 10 ans en moyenne. Les aménagements à réaliser pour entrer dans les critères ZFE sont souvent coûteux et les alternatives énergétiques proposées aujourd’hui apparaissent comme insuffisamment matures.

Les mesures portées par la puissance publique pour augmenter l’acceptabilité des ZFE-m par les professionnels

La première mesure favorisant l’acceptabilité d’une démarche ZFE-m sur un territoire est la concertation. La loi prévoit une phase de concertation et de communication préalable à la mise en place d’une ZFE-m afin d’expliquer la démarche aux particuliers et aux professionnels, recenser leurs questionnements et les impliquer dans la dynamique de la démarche ZFE-m. À Strasbourg par exemple, trois comités structurent la gouvernance de la démarche de ZFE-m : en plus du comité politique qui réunit les élus de la Métropole, ont été créés un comité de suivi territorial réunissant les différentes parties prenantes (Etat, Région, communes, représentants du monde économique et énergétique, associations d’usagers…), et un comité des partenaires professionnels qui réunit les principales instances représentatives des acteurs économiques locaux. À Grenoble, la démarche de ZFE-m s’est appuyée sur les comités de concertation mis en place dès 2015 dans le cadre du plan d’action en faveur de la logistique urbaine durable de la métropole. Avec le lancement de la ZFE-m, ces comités se sont réunis plus fréquemment. À Marseille, cinq groupes de travail par thématiques et par filières économiques ont été organisés courant 2020, à différentes fréquences (mensuel, bimensuel). En outre, des échanges en bilatéral ont été menés avec les acteurs lorsque nécessaire.

La mise en œuvre progressive des interdictions de circulation favorise également l’acceptabilité de la ZFE-m. Les collectivités interrogées ont défini un calendrier d’application des restrictions par étapes et selon plusieurs critères : par vignettes Crit’Air, mais également par type d’usagers (différenciation entre poids lourds, véhicules utilitaires légers et véhicules particuliers) ou par périmètre géographique. La progressivité peut aussi s’appliquer aux sanctions, là encore pour permettre aux usagers de s’adapter. Plusieurs métropoles mettent ainsi en place des phases de contrôles « pédagogiques », c’est-à-dire sans sanction, lors des premiers mois suivant l’instauration de leur ZFE-m.

Les collectivités ayant mis en place une ZFE-m ont par ailleurs prévu des mesures d’accompagnement, sous diverses formes :

  • Conseils en mobilité pour informer les usagers sur les aides existantes et les guider dans leur changement de véhicule par exemple ;

  • Aides financières pour la mise à la casse d’un véhicule ancien, l’achat ou la location d’un véhicule plus respectueux de l’environnement, ou pour le rétrofit ;

  • Déploiement d’un réseau d’avitaillement ;

  • Préservation du foncier dans les documents d’urbanisme tels que le PLU…

Enfin, les dérogations font partie des dispositifs à disposition de la collectivité pour aider les usagers à accepter le changement. Ces dérogations ciblent généralement les usagers les plus vulnérables, c’est-à-dire les petites entreprises, et elles sont accordées pour une durée limitée, d’un à trois ans dans la plupart des cas. À Rouen, par exemple, une dérogation temporaire a notamment été accordée aux utilitaires légers des entreprises de moins de 50 salariés jusqu’au 31 décembre 2022. À Strasbourg, des dérogations individuelles sont accordées au cas par cas et pour trois ans. Un « Pass ZFE » 24 heures peut également être accordé, 24 fois par an.

ZFE-m et logistique urbaine, des démarches complémentaires à mener de front

Les ZFE-m vont rendre plus complexes et plus coûteuses les livraisons par camions à motorisation thermique dans les agglomérations, exception faite des villes facilitant la mutualisation des flux en acceptant la circulation de gros porteurs. Elles vont donc rendre plus compétitives les solutions alternatives et intermodales. Les ZFE-m constituent ainsi une bonne fondation pour développer une logistique urbaine durable.

Pour optimiser l’effet levier d’une démarche ZFE-m sur la logistique urbaine, la collectivité porteuse doit faire le choix de mener les projets de ZFE et de logistique de front, notamment par le décloisonnement des compétences en interne à la collectivité avec par exemple des réunions régulières associant l’ensemble des services compétents sur ces thématiques. À Grenoble, les démarches de logistique urbaine et de ZFE-m sont étroitement liées, la première ayant initié la seconde. En effet, la métropole de Grenoble a produit en 2015 un plan d’action en faveur de la logistique urbaine durable qui prévoyait la mise en place d’une ZFE-m à court terme. Celle-ci a été lancée en mai 2019, reprenant les principales lignes d’action définies suite à la large concertation auprès des acteurs économiques qui avait suivi le plan de 2015. 

Il semble donc essentiel de penser une gouvernance commune entre les démarches ZFE-m et logistique urbaine, en interne à la collectivité comme avec les partenaires externes, qui permettra de créer une dynamique globale et structurée. Il conviendra toutefois de s’assurer que les discussions sur la ZFE-m n’occultent pas les autres sujets de la logistique urbaine (stationnement, foncier logistique…), ou encore que ces autres projets ne soient pas ralentis par la démarche de création d’une ZFE-m. 

Cette gouvernance systémique permettra de couvrir l’ensemble des interactions et des interdépendances réglementaires, économiques, environnementales ou sociales. Elle assurera notamment une meilleure prise en compte des interrogations et des craintes des professionnels. Nombre d’entre eux s’interrogent actuellement sur la maturité des technologies proposées pour remplacer les véhicules thermiques, sur le déploiement des réseaux d’avitaillement ou encore sur le prix de ces énergies alternatives dans les années à venir, au regard des crises que nous traversons.

Il semble donc primordial de mieux communiquer auprès des acteurs économiques sur cette transition énergétique, en définissant clairement la stratégie des pouvoirs publics, en informant sur les technologies et aides financières existantes, mais aussi en précisant le rôle que doivent jouer les acteurs privés pour réussir cette transition.


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