
Alors que les collectivités locales avancent dans la mise en œuvre des Zones à Faibles Émissions-mobilité (ZFE-m), la question de l’approvisionnement énergétique des véhicules utilisés en logistique urbaine devient un enjeu central de la transition. Le Comité Technique de Liaison des Acteurs Économiques de Logistique Urbaine (CTLUD AE) publie un rapport consacré aux conditions d’un avitaillement adapté, soutenable et réaliste pour les professionnels opérant en milieu urbain. Ce document s’inscrit dans une série de travaux déjà menés par le CTLUD pour éclairer les politiques publiques et proposer des solutions opérationnelles. Dans cette interview, Hélène Quévremont, directrice aux affaires techniques à l’environnement et à l’innovation à l’OTRE, revient sur les grandes lignes du rapport, les messages portés par les membres du CTLUD et les recommandations clés pour accompagner concrètement la transition énergétique des acteurs économiques de la logistique urbaine.
Le CTLUD a pour mission d’accompagner les acteurs privés et les acteurs publics pour accroitre l’efficience des logistiques urbaines dans leurs dimensions économique, opérationnelle, environnementale et sociétale. Porteur de la parole des principaux secteurs d’activité produisant et consommant du transport de marchandise en ville, le CTLUD remplit une mission de vigilance et agit en tant que force de propositions pour contribuer à l’élaboration au niveau national du cadre général dans lequel les politiques locales de logistique urbaine doivent s’insérer.
C’est dans cette logique que s’inscrit le rapport sur l’avitaillement qui vient s’ajouter aux contributions que le CTLUD a produites sur les ZFE-m en vue d’alimenter la concertation nationale menée en 2023/2024 et de concourir à l’élaboration de feuillets pratiques à l’usage des collectivités pour les accompagner dans la mise en œuvre desdites zones. Il vient également de produire un rapport sur la multimodalité appliquée aux logistiques urbaines.
Le CTLUD se singularise par un mode de fonctionnement extrêmement souple et agile qui repose sur une animation assurée de façon tournante par une organisation professionnelle, exceptionnellement par deux comme c’est le cas actuellement avec une coanimation TLF/FNTR, et sur une étroite implication des organisations professionnelles dans les groupes de travail. C’est à ce titre qu’Hélène Quévremont, directrice aux affaires techniques à l’environnement et à l’innovation à l’OTRE, a assuré le pilotage du groupe de travail sur l’avitaillement, et que Christian Rose, directeur transport et logistique de la CGF, a contribué aux travaux aux côtés de représentants de la FNADE, de la FNTP, de la FNTR, de TLF et du SNEFiD. La présentation du CTLUD ne serait pas complète s’il n’était pas précisé que les positions du CTLUD sont le fruit de consensus obtenus grâce à l’intelligence collective des représentants des 30 fédérations et associations professionnelles qui le composent.
Le Comité technique de Liaison des Acteurs Economiques de Logistique Urbaine (CTLUD AE) a élaboré plusieurs contributions, pourquoi avoir souhaité publier ces « Préconisations pour l’avitaillement en énergies des professionnels en zone urbaine » et à qui s’adressent-elles ?
Les professionnels représentés au sein du CTLUD sont particulièrement mobilisés sur les enjeux de transition énergétique du transport et de la logistique et ce rapport est une façon de témoigner leur volonté d’être les acteurs et pas seulement les spectateurs de cet enjeu qui dépasse bien évidement la seule logistique urbaine pour laquelle il est intuitivement apparu aux yeux du CTLUD que des spécificités pouvaient émerger, plus particulièrement en fonction de la typologie et des usages des véhicules utilisés en milieu urbain qui sont très majoritairement éloignés de l’emblématique ensemble routier 44 tonnes qui circule sur les réseaux routiers interurbains et internationaux . Ce rapport est aussi une occasion de rappeler que la transition énergétique est systémique, en ce qu’elle conjugue la production des véhicules et les moyens de les avitailler en énergie sans lesquels ils ne seraient jamais commercialisés. Ce rapport peut s’apparenter à une doctrine du CTLUD sur la question de la transition énergétique et de l’avitaillement et s’adresse à ce titre davantage aux décideurs publics nationaux et locaux ; il fournit également à certains égards certains éclairages d’ordre pratique qui sont davantage à destination des entreprises.
Une partie du rapport est consacrée aux vecteurs énergétiques mis sur le marché, pourquoi avoir fait ce choix éditorial, quelles en sont les principales conclusions et orientations ?
La clé d’entrée de la réflexion est la nécessité de préserver un bouquet énergétique. Le rapport s’attarde longuement sur les raisons de ce positionnement en faveur d’un mix énergétique et c’est sans tabou et par pragmatisme et réalisme qu’il inclut le gazole utilisé dans les véhicules Euro 6 – et demain Euro 7- parmi les nombreuses énergies devant avoir leur place en logistique urbaine. C’est à ce titre que le CTLUD réaffirme son message consistant à ne pas interdire la circulation en zone urbaine des véhicules classés en Crit’Air 2 avant au moins 2030, et qu’au-delà des seuls enjeux de logistique urbaine, considère que le calendrier de la fin programmée des motorisations thermiques gagnerait à être détendu le temps que l’écosystème de l’électromobilité arrive à pleine maturité, considérant que la technologie thermique qui est totalement maitrisée, éprouvée et industrialisée, pourrait utiliser des carburants bas carbone et peu polluants avec un réseau de distribution qui est lui à maturité. Le CTLUD s’inscrit bien évidemment dans la perspective dressée par les pouvoirs publics d’un atterrissage final vers l’électromobilité mais considère, avec d’autres, qu’il y a encore loin de la coupe aux lèvres ; c’est à ce titre qu’il défend l’idée somme toute assez simple que les entreprises ne pouvant pas basculer vers l’électromobilité pour l’une et/ou l’autre des raisons évoquées dans le rapport ne soient pas empêchées ni dissuadées de remplacer un véhicule polluant et émetteur de gaz à effet de serre par un véhicule utilisant une des autres énergies « plus vertes » dont le rapport dresse l’inventaire avec leurs avantages et inconvénients. Cette complémentarité énergétique est à nos yeux consubstantielle à la phase de transition énergétique dans laquelle nous sommes.
Compte-tenu des difficultés de dimensionnement d’un réseau d’avitaillement, le rapport propose, à date, un panorama très complet des conditions de réussite. Quelles sont à grands traits les points de vigilance qu’il convient de retenir ?
Le rapport met clairement en évidence qu’il faut dissocier le gaz/bio gaz et l’électrique. S’agissant du gaz/biogaz, on peut dire que le dimensionnement du réseau est plutôt bien maitrisé par les acteurs du secteur au regard de leur longue expérience dans le transport routier et de la maturité technologique des véhicules dont les performances sont voisines de leurs équivalents gazole. Pour l’électricité, l’organisation de la distribution est en revanche tributaire, d’une part des évolutions technologiques des véhicules qui devraient se traduire par une augmentation de leur autonomie, une augmentation de leur capacité d’emport de marchandises et une réduction des temps de rechargement, et d’autre part de l’extrême diversité des cas d’usage que réunit la logistique urbaine. Un constat qui conduit le CTLUD à prédire que l’enjeu pour le développement de l’électromobilité en zone urbaine est, toutes choses étant appelées à évoluer par ailleurs, d’éviter de surdimensionner le réseau d’avitaillement public en électricité ! Le rapport s’est prudemment hasardé à segmenter deux grandes familles de pratiques de rechargement selon le type de logistique urbaine et le type de véhicule utilisé ; les professionnels de la logistique exploitant des véhicules spécialement affectés au transport de marchandises privilégieraient la recharge sur site davantage compatible avec leurs organisations calibrées et cadencées tandis que les entreprises utilisant des véhicules pour les besoins de leur activité principale soumises à aléas (les artisans du bâtiment par exemple) opteraient pour un rechargement public en station et/ou au droit des trottoirs.
Le principal enseignement à tirer est que les collectivités doivent s’emparer du sujet de l’avitaillement – le rapport met en avant la démarche de Vendée Energie- en étroite concertation avec les acteurs économiques. Ainsi l’une des conclusions du rapport est de recommander aux collectivités d’adosser à leur réflexion autour de la création d’un réseau IRVE le lancement d’un travail de modélisation des capacités d’avitaillement en électricité pour les activités de logistique urbaine, conduisant à l’établissement de plusieurs scenarios phasés dans le temps prenant en compte la diversité des activités de logistique urbaine et les évolutions technologiques sur les matériels.
Quelles sont, au terme de ce travail collectif, les propositions et recommandations que les membres du CTLUD AE ont souhaité mettre en avant ?
Le rapport permet au CTLUD de marteler que le caractère pluriel de la logistique urbaine doit proscrire toute approche monolithique des choses et que cette diversité d’usages est l’une des nombreuses raisons qui le conduisent à défendre des messages politiques forts. Parmi ceux-ci figure notamment le maintien du mix énergétique dans lequel le gazole utilisé dans les véhicules les plus récents qui présentent de bonnes performances environnementales en termes de polluants atmosphériques doit tenir une place, principe de réalité oblige. Le rapport rappelle également que le verdissement des parcs de véhicules vers l’énergie électrique présente pour les entreprises un mur d’investissements et propose comme mesure d’accompagnement une extension du dispositif de suramortissement aux investissements en stations de recharge sur sites. L’extension de la TIRUERT à toutes les solutions énergétiques pour le transport (biogaz, B100, XTL/HVO, électrique), permettrait quant à elle de réduire les écarts de prix avec les énergies fossiles et de garantir la meilleure compétitivité au transport décarboné.
Le rapport s’est également intéressé à des questions très opérationnelles telles que les contraintes des assureurs relatives aux installations d’IRVE sur les sites des entreprises et proposé que soit menée sous l’animation France Assureurs une réflexion associant toutes les parties prenantes afin de définir les normes d’implantation des bornes de recharge sur les emprises logistiques.