La logistique urbaine est de plus en plus reconnue comme un élément central pour le fonctionnement des écosystèmes urbains. Pourtant, on observe encore un paradoxe entre cette prise de conscience et sa mise en application concrète et efficace sur le terrain. Intrinsèquement transversale, la logistique urbaine requiert des solutions qui transcendent les compétences d’une seule organisation ou d'acteurs spécialisés. Elle nécessite également l'implication coordonnée de plusieurs services au sein des administrations locales.
Plusieurs constats peuvent freiner l’intégration efficace de la logistique dans les politiques urbaines :
Un manque de connaissances interne : Les problématiques logistiques et les mesures engagées par les collectivités sont souvent méconnues, que ce soit au niveau des communes, des services techniques ou des élus. C’est donc aussi un enjeu en termes de compétences.
Une absence de positionnement politique clair. Soit les enjeux inhérents à la logistique urbaine ne sont pas évoqués soit ils le sont partiellement, alors qu’ils restent nombreux et de nature diverse (économiques, sociaux, environnementaux, …).
Un manque de réflexion systémique / de considération transversale : Les problématiques logistiques sont interconnectées car elles concernent un large panel d’activités et secteurs économiques. La réflexion sectorielle implique un manque de coordination systémique. En effet il est nécessaire de porter sur la logistique urbaine une réflexion transversale pour activer les différentes compétences de l’EPCI et compléter avec celles des autres collectivités, ou structures, pouvant agir à leur propre échelle.
De tels freins peuvent avoir des conséquences concrètes et parfois coûteuses, telles que :
Des discordances réglementaires entre les communes : L'absence de coordination peut conduire à des incohérences dans les politiques locales.
Un manque de ressources allouées : Les moyens humains et financiers dédiés sont souvent insuffisants.
Des incohérences et des doublons dans les livrables : Le lancement de multiples études non coordonnées entraîne des pertes de temps et d’argent public, car répétitives fragmentées dans leur production de connaissance.
Une mauvaise intégration dans les projets urbains : La logistique est rarement prise en compte dès le début de projets immobiliers ou d’aménagements urbains, aussi bien dans la prévision des flux que dans les infrastructures à prévoir. Ce qui engendre des retards et des complications ultérieures.
Dans la prise d’action : Les réflexions restent souvent théoriques ou verbales, sans aboutir à des actions concrètes et une planification stratégique.
Si le manque de volonté politique a souvent été pointée du doigt pour expliquer le paradoxe énoncé, cette explication ne suffit plus. D’autres facteurs sont désormais avancés, tels que le rôle du fonctionnement de la sphère politico-administrative. En effet, alors que l'aménagement du territoire est en constante évolution, l'organisation administrative, dont celle des métropoles et agglomérations urbaines, reste largement inchangée. Cette inertie soulève des questions sur la capacité de cette sphère publique à aborder efficacement les problèmes transversaux, comme ceux de la logistique urbaine dans des contextes urbains diversifiés. Pourtant, une telle adaptation est indispensable pour répondre aux défis environnementaux, économiques et sociaux actuels et pour un développement territorial durable à long terme.
Une première étape vers une meilleure prise en charge de ces enjeux consisterait à poser les bases d'une gouvernance logistique transverse à l'échelle métropolitaine. Cela ouvrirait la voie à une intégration plus globale de la logistique dans les politiques d’aménagement, suivie par l’élaboration d'outils concrets adaptés aux réalités territoriales.
Certaines collectivités, comme Bordeaux Métropole, ont commencé à développer une gouvernance interne interservices, dont la démarche évolutive vise à mieux intégrer la logistique dans les stratégies urbaines et à répondre aux défis actuels et futurs de manière cohérente et concertée.
La Logistique Urbaine à Bordeaux Métropole : La construction progressive d’une gouvernance interservices
Historique de la logistique urbaine sur la métropole bordelaise
L’engagement de Bordeaux Métropole sur la logistique urbaine remonte à 1994 lorsque, déjà consciente des enjeux économiques et des externalités négatives, elle participe au programme national de recherche piloté par l’État sur le transport des marchandises en ville.
C’est en 2012 que la Direction Générale des Mobilités créée un poste de référent logistique urbaine qui mettra rapidement l’écoute des besoins des entreprises / acteurs économiques au cœur de sa mission avec une portée opérationnelle à l’externe. D’abord rattaché à la direction stratégie études puis à la direction circulation et stationnement, le poste acquiert une dimension technique qui lui confère une plus grande légitimité en interne, auprès des élus et des services internes. Les échanges avec le DG Développement économique sont déjà fréquents mais ponctuels au fil des dossiers traités. Le référent est considéré comme l’expert sur lequel les services se tournent.
Avec la nouvelle mandature en 2020, une impulsion politique est donnée. Poussé par une attente plus forte des élus, l’intérêt des services grandit. En 2021, le schéma des mobilités et celui du développement économique concluent à la nécessité de mieux structurer l’action métropolitaine sur la logistique. Dans le même temps, le programme InTerLUD permet à Bordeaux Métropole de relancer la dynamique partenariale et collaborative sur son territoire et de structurer une démarche pour aboutir en 2023 à une feuille de route métropolitaine de la logistique urbaine.
Du référent expert à la coordination transversale en interne
C’est lors des travaux de diagnostic et de construction de la feuille de route qu’un groupe de travail interne a été mis en place, permettant à chacun d’interroger leurs propres missions et de se saisir des problématiques logistiques que ce soit dans les domaines de l’aménagement, du foncier économique, du développement des services publics et des infrastructures, etc. Certains services ont pu exprimer des attentes et objectifs plus ambitieux avec des projets autour de la logistique alimentaire pour le développement des circuits-courts de proximité ou autour de la logistique fluviale.
Si le groupe de travail a été fortement sollicité lors de l’élaboration de la feuille de route, un rythme de croisière s’est installé et ce dernier est devenu « l’équipe interservices LUD ».
Composé des représentants des services concernés et animé par la responsable Logistique urbaine au sein de la DG Mobilités, le comité de coordination interservices se réunit une fois par mois pour :
Suivre l’avancement des actions de la feuille de route pilotées par les différents services :
Partager l’information et les actualités
Brainstormer et discuter des ajustements et des nouvelles pistes d’actions définies en fonction des besoins et des opportunités
Préparer les éléments de communication et de reporting
L’équipe est constituée des représentants des services suivants :
La Mission Économie de Proximité,
La Mission Fleuve,
La Mission du Programme alimentaire territoriale,
Le Service Foncier et Immobilier Économique, Le Service Croissance et Transition des Entreprises,
Le Service Planification Urbaine,
La mission économie circulaire et pour finir,
La Direction Circulation Stationnement.
Ce groupe, loin d’être fermé, peut être élargit à d’autres services sur des sujets spécifiques, comme la voirie, la signalisation ou encore les services opérationnels de l’aménagement et l’économie sociale et solidaire (ESS).
Ainsi, chacun a la possibilité de devenir expert de la logistique urbaine dans son domaine, le référent logistique urbaine peut alors prendre un rôle d’animateur, d’aiguillon ou d’éclaireur.
En termes de planning, il a été décidé de réunir l’équipe chaque quatrième jeudi du mois pendant 1h30. Un premier retour d'expérience nous indique que ce format se révèle particulièrement efficace. La fréquence des réunions, ni trop rapprochée ni trop espacée, permet de garantir la pertinence des échanges. Le fait de fixer des réunions régulières contribue à améliorer la communication interne, en contournant les circuits traditionnels souvent inefficaces. Cette approche favorise également une progression plus rapide des projets grâce à l’intelligence collective.
L’expérience de Bordeaux Métropole permet d’apporter des éléments de cadrage pouvant profiter à d’autres collectivités soucieuses de mettre en place ce type de démarche. La réussite de l’initiative de Bordeaux Métropole repose sur divers éléments qui peuvent être résumer de la façon suivante :
L’impulsion / l’engagement politique est indispensable
La transversalité ne se décrète pas, elle s’organise
Le référent logistique urbaine ne doit pas se positionner comme expert ; il doit aider les autres services à monter en compétences et à se saisir du sujet de la LU au travers de leur métier / mission.